Ven, 7 novembre 2025
Le contrat d’engagement des voyageurs de commerce est un contrat de travail à caractère spécial, régi par les art. 347 et suivants du Code des obligations (CO), qui vise l’engagement d’un travailleur afin de négocier ou conclure des affaires commerciales hors de l’établissement de l’employeur. La rémunération de ce professionnel se distingue par la présence fréquente d’une part variable, appelée provision ou, plus fréquemment, commission. Ce mode de rémunération soulève des questions spécifiques notamment quant à sa forme, son montant et son exigibilité. Cet article présente les règles principales encadrant la rémunération du voyageur de commerce en droit suisse.
Le voyageur de commerce agit pour le compte d’un commerçant, d’un industriel ou d’un autre chef d’entreprise, en négociant ou concluant des contrats en dehors de l’établissement (art. 347 CO). L’activité de voyageur de commerce doit être exercée à titre principal ; les activités occasionnelles ou passagères pour l’employeur n’entrent pas dans cette définition (art. 347 al. 2 CO).
Comme tout travailleur, le voyageur de commerce est soumis à un devoir de diligence et de fidélité. En particulier, il doit respecter les prescriptions données par l’employeur en lien avec les visites à la clientèle et les prix, faire régulièrement rapport sur son activité, transmettre immédiatement les commandes reçues et ne peut conclure d’affaires pour son propre compte ou pour un tiers sans autorisation (art. 348 CO).
De par la loi, le voyageur de commerce a le pouvoir de mener des pourparlers en vue de la conclusion d’un contrat (négociateur). Il n’est toutefois autorisé à conclure un contrat au nom de son employeur que si les parties ont convenu par écrit de lui donner ce pouvoir (art. 348b CO). Dans ce cas, le voyageur est alors autorisé à conclure tous les actes juridiques nécessaires à la conclusion des affaires visées ; il n'est toutefois pas autorisé, sans accord explicite, à encaisser des paiements de clients ni à accorder des délais de paiement. Des règles particulières s’appliquent dans le cadre du contrat d’assurance.
Les règles du contrat de travail (art. 319 ss CO) s’appliquent à titre supplétif au contrat d’engagement des voyageurs de commerce (art. 355 CO).
La rémunération du voyageur peut prendre trois formes :
- un salaire fixe, auquel pourra s’ajouter une provision (salaire variable accessoire) ;
- une rémunération composée principalement de provisions, complétant un salaire fixe minime ;
- une rémunération composée exclusivement de provisions.
1) Salaire fixe, avec ou sans provisions
Si le travailleur perçoit exclusivement ou principalement un salaire fixe, son montant devra être convenu par écrit dans le contrat de travail. A défaut, la rémunération due devra être déterminée en tenant compte des conditions habituelles (usage), au regard des circonstances particulières (art. 347a al. 1 let. c et al. 2 CO).
Le versement d’une provision en sus n’est pas obligatoire. Il reviendra au voyageur de déterminer si le montant du (seul) salaire fixe proposé est suffisant selon lui. Pour éviter tout malentendu, il est conseillé d’indiquer explicitement dans le contrat qu’aucune commission n’est due si tel est le cas.
2) Rémunération basée principalement ou exclusivement sur des provisions
Lorsque le voyageur perçoit principalement ou exclusivement des provisions, la loi impose que cette rémunération constitue une « rémunération convenable », faute de quoi l’accord portant sur la rémunération n’est pas valable (art. 349a al. 2 CO).
La jurisprudence retient qu’un revenu basé essentiellement sur des provisions est convenable s’il assure au voyageur un gain qui lui permet de vivre décemment, compte tenu de son engagement au travail, de sa formation, de ses années de service, de son âge et de ses obligations sociales (ATF 129 II 664 et réf. citée). Le but cette disposition n’est toutefois pas d’assurer dans tous les cas un salaire minimum au voyageur, c’est-à-dire sans égard au travail fourni. Si la faible rémunération est due à des prestations insuffisantes du voyageur, alors il ne lui sera pas possible de revendiquer un salaire plus élevé. Il revient au travailleur de démontrer que la rémunération convenue n’est pas convenable (ATF 4C.265/2005 ; arrêt de la Cour de Justice du canton de Genève du 16 février 2022, CAPH/25/2022). Il conviendra dans chaque cas d’examiner les salaires usuels de la branche en question mais surtout les conditions réelles dans lesquelles le travailleur exerce son activité de sorte que, selon le Tribunal fédéral (TF), toute comparaison s'avère délicate, voire impossible (ATF 129 II 664).
A titre d’exemples, le TF a retenu qu’un salaire net moyen de 2'074 francs pour une activité de « conseiller économique » en matière d’assurances à plein temps ne permettait pas de vivre en Suisse et n’était donc pas convenable. Il a ainsi confirmé la décision de l’instance cantonale admettant l’augmentation de la rémunération à 3'874 fr. 25, requise par le travailleur, tout en relevant que ce montant était encore largement inférieur au salaire médian mensuel brut, secteur privé et public confondus, afférent à des activités similaires (ATF 139 III 214).
Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral a retenu que le salaire net moyen versé par l’employeur, de l'ordre de 3'830 francs par mois, apparaissait comme convenable, tenant compte de l’absence d’expérience du travailleur au moment de son engagement et d’obligations sociales particulières, du fait qu’il n’avait apparemment pas souffert de la situation sur la place économique et étant précisé qu’il n’avait pas été possible de déterminer une rémunération usuelle dans le domaine concerné (ATF 129 III 664).
Lorsque la provision est versée en sus d’un salaire fixe, se pose la question de savoir quand elle doit être considérée comme étant versée à titre principal. Selon certains auteurs, la provision devient la rémunération principale dès qu’elle perd son caractère accessoire, soit dès que sa proportion dépasse 1/5 (20%) de la rémunération totale (AUBERT, in Commentaire du contrat de travail, Dunand/Mahon, Berne 2022, no 21 ad art. 349a CO).
La loi prévoit que les parties peuvent fixer librement le montant du salaire pendant un temps d’essai d’une durée de deux mois au plus (art. 349a al. 3 CO). Si, conformément à l’art. 335b CO, les parties ont convenu d’un temps d’essai d’une durée située entre deux et trois mois, l’exception en matière de rémunération ne vaudra que pour les deux premiers mois.
Pendant cette période, les règles qui viennent d’être rappelées ci-dessus ne sont pas applicables et les parties sont donc autorisées à prévoir une rémunération principalement sous forme de provision qui ne respecterait pas le salaire convenable (AUBERT, in Commentaire du contrat de travail, op. cit., no 31 ad art. 349a CO et réf. citée), le but ne devant toutefois pas être de placer le travailleur dans une situation précaire. Dans tous les cas, le salaire devra respecter le salaire minimum légal dans les cantons où un tel salaire est en vigueur.
Alors que le salaire est dû à l’échéance prévue indépendamment du résultat de ses affaires, la provision est acquise au voyageur dès que l’affaire a été valablement conclue avec le tiers (art. 322b al. 1 et 349b al. 2 CO). Le droit à la provision suppose donc que le voyageur trouve un client disposé à conclure, s’il n’est que négociateur, ou procure une affaire concrète. En outre, il doit exister un rapport de causalité entre l’activité du voyageur et la conclusion du contrat (ATF 128 III 174, trad. In JdT 2003 I 28).
Néanmoins, si un rayon ou un cercle de clients déterminé est attribué exclusivement à un voyageur de commerce, celui-ci a droit à la provision convenue ou usuelle pour toutes les affaires conclues par lui ou son employeur (y compris par l’intermédiaire de tiers) dans son rayon ou avec sa clientèle (art. 349b al. 1 CO). Dans cette dernière hypothèse, le voyageur percevra donc une provision même sur des affaires à la conclusion desquelles il n’a pas participé (JAR 1984 267; RSJ 1994 388). En revanche, il n’aura pas de droit à une provision sur les affaires à la conclusion desquelles il aurait participé lorsque le client se trouve en dehors du rayon qui lui a été attribué (AUBERT, in Commentaire Romand, 3e éd., no 5 art. 349b CO et réf. citée).
Pour les contrats à prestations successives (par ex. assurance), le droit à la provision peut être lié à chaque acompte ou prestation (art. 322b al. 2 CO).
Alors que la loi ne le prévoit pas, le versement d’avances pourra être nécessaire notamment dans les cantons connaissant un salaire minimum légal. Lorsque le voyageur perçoit des avances sur provision – par choix ou parce qu’il existe un salaire minimum légal – il est recommandé de prévoir par écrit si l’obligation existe ou non de restituer les acomptes perçus en trop ou si ceux-ci étaient entendus comme des minima garantis, afin d’éviter tout litige sur ce point. Il est toutefois relevé qu’un remboursement des avances ne pourra être exigé que si la rémunération perçue à l’exclusion de celles-ci respecte la notion de rémunération convenable, voire le salaire minimum légal.
Les parties peuvent librement définir les modalités de calcul de la provision (notamment le montant et la base de calcul). Celles-ci doivent toutefois ressortir clairement du contrat pour éviter les conflits. Conformément à l’art. 322c CO, les affaires donnant droit à une provision doivent en principe faire l’objet d’un décompte.
En principe, la provision est due à la fin du mois lors duquel l’affaire a été conclue (art. 323 al. 2 CO), les parties pouvant prévoir des délais plus courts. Par écrit, les parties peuvent cependant convenir que, lorsque l’exécution de certaines affaires exige plus d’une demi-année, l’échéance de la provision est différée pour ces affaires.
En matière d’engagement de voyageurs de commerce, la loi prévoit toutefois que si, à l’échéance de la provision, la valeur d’une affaire ne peut pas être déterminée exactement, la provision est d’abord payée sur la base d’une évaluation minimum faite par l’employeur, le solde étant dû dès que l’affaire a été exécutée. Tel peut être le cas par exemple d’une provision calculée sur le prix du marché ou de la bourse à un terme donné (AUBERT, in Commentaire du contrat de travail, op. cit., no 24, ad art. 349b CO). Il s’agit de situations très particulières qui doivent faire l’objet d’un accord écrit (art. 347a let. c CO). La question de savoir si, en cas d’avance supérieure au montant final, l’employeur est en droit de réclamer le trop-perçu est discutée en doctrine (AUBERT, op. cit., no 27 ad art. 349b CO).
Même si l’affaire a été conclue et que la provision a été versée, il se peut que le droit du voyageur cesse d’exister. La loi prévoit en effet que la provision n’est pas due lorsque l’employeur n’exécute pas l’affaire sans faute de sa part ou lorsque le tiers ne remplit pas ses obligations (art. 322b al. 3 CO). A contrario, l’employeur restera débiteur de l’entier de la provision s’il est responsable de l’inexécution de l’affaire ou s’il ne fait pas tout ce qu’il peut pour son exécution. Il doit ainsi entreprendre toutes les mesures raisonnables pour contraindre le tiers, telles que sommation, poursuite ou autres (ATF 4A_367/2018).
Dans le cas où le droit à la provision s’éteint après son paiement, le travailleur doit restituer les provisions ou les acomptes sur provisions versés, à moins que ces montants n’aient été garantis. Là encore, il est conseillé d’indiquer par écrit si une obligation de restitution existe pour éviter toute incertitude.
En cas d’inexécution partielle, la provision est réduite proportionnellement.
De manière générale, le travailleur empêché de travailler sans faute pour une cause inhérente à sa personne a droit au paiement de son salaire durant un temps limité (art. 324a et 324b CO). Dans la réglementation spéciale relative au contrat de voyageur de commerce, la loi élargit le droit au salaire à toutes les situations où le voyageur se trouve empêché sans sa faute de voyager (impossibilité de démarcher ou de rencontrer des clients), sans pour autant se trouver en incapacité de travailler. L’empêchement peut être inhérent au voyageur (incapacité de se déplacer) mais également liée aux conditions externes (conditions météorologiques, indisponibilité des outils de travail, confinement lié à une pandémie) (AUBERT, in Commentaire romand du CO I, op. cit., no 4 ad art. 349c CO). Les raisons doivent toutefois être suffisamment importantes et sans lien avec une faute du travailleur.
Le voyageur empêché a droit à une rémunération conforme aux articles 324a et 324b CO, soit à la rémunération qu’il aurait perçue s’il avait pu effectuer son travail, pendant une durée définie (échelle de Berne, Bâle ou Zurich). L’art. 349c CO précise que le calcul de la rémunération doit se faire sur la base :
- du traitement fixe (salaire, 13e salaire, gratification obligatoire, frais fixes, indemnités versées régulièrement durant une certaine période) ;
- d’une indemnité convenable pour la perte de la provision. Le voyageur ne devant pas perdre en rémunération lorsqu’il se trouve empêché, il convient de lui verser les provisions qu’il aurait perçues s’il n’avait pas été empêché. Il s’agit non seulement des provisions nées avant son empêchement et pour lesquelles un droit existait déjà, mais également des provisions relatives aux affaires qu’il aurait conclues ou à la conclusion desquelles il aurait participé s’il n’avait pas été empêché. Dès lors qu’il s’agit d’une situation hypothétique, il est d’usage de se baser sur la moyenne des provisions perçues durant les douze mois qui ont précédé, voire durant la période travaillée si elle est inférieure. Le résultat doit toutefois être adapté aux circonstances et tenir compte des fluctuations saisonnières, notamment, afin d’obtenir un résultat au plus proche de ce qu’aurait été la réalité.
Les parties peuvent néanmoins convenir, par écrit, qu’aucune indemnité n’est due au voyageur pour la perte de la provision si celle-ci représente moins d’un cinquième (20%) de la rémunération mensuelle du travailleur ; dans ce cas, seul le salaire fixe sera dû. Afin de déterminer si la provision reste dans la limite de 19,9%, le rapport habituel entre le salaire et les provisions devra être déterminé sur une période de référence, en pratique douze mois. Lorsque la provision représente 20% ou plus de la rémunération globale du voyageur, alors l’art. 349c al. 2 CO n’est pas applicable et c’est l’entier de la rémunération habituelle (traitement fixe + indemnité convenable pour la perte de provision) qui devra être versée.
Lorsque le voyageur est empêché de voyager (mais non de travailler) et qu’il perçoit l’intégralité de son salaire, l’employeur peut exiger de lui qu’il effectue, dans l’établissement, d’autres travaux dont il est capable de se charger et que l’on peut raisonnablement exiger de sa part (art. 349c al. 3 CO). Pendant son empêchement de voyager, le travailleur peut donc se voir imposer temporairement d’autres tâches en vertu de son devoir de fidélité, en échange d’une rémunération entière sans limite de temps. Les tâches confiées doivent toutefois avoir un lien suffisant avec le travail habituel du voyageur. Il s’agira notamment de travail de bureau, de suivi administratif, de mise à jour de listes de clients ou de commandes ou encore de réception des téléphones ou des clients.
Alors que, normalement, la provision n’est due que pour les affaires valablement conclues, la loi prévoit une exception lorsque les rapports de travail se terminent : à cette occasion, non seulement le voyageur de commerce a droit à la provision sur toutes les affaires qu’il a conclues ou négociées (art. 322b al. 1 CO), mais il y a également droit sur toutes les commandes transmises à l’employeur jusqu’à la fin des rapports de travail, quelle que soit la date de leur acceptation et de leur exécution (art. 350a CO). Puisque, dans une telle situation, l’affaire n’a pas été conclue, il convient de retenir, selon le Tribunal fédéral, que le droit à la provision naît dès que le client a donné son accord de principe (ATF 92 II 102, JdT 1967 I 142). Cette règle a l’avantage de définir les droits du travailleur à la fin du contrat de travail et de solder les comptes au dernier jour de la relation, mais fait courir à l’employeur le risque de payer une provision qui s’avérerait par la suite infondée parce que l’affaire n’a finalement pas été conclue ou exécutée. L’art. 350a CO, de par son caractère spécial et relativement impératif, empêche cependant les parties de conclure un accord selon lequel le travailleur devrait restituer la provision (du même avis, AUBERT, in Commentaire du contrat de travail, op. cit., no 10 ad art. 350a CO et réf. cit.).
S’agissant du moment du paiement de la provision, il convient de se référer à l’art. 339 al. 1 CO qui prévoit que toutes les créances deviennent exigibles à la fin du contrat (ATF 116 II 700 ; JdT 1991 I 643). Il est toutefois permis de différer l’exigibilité de la provision lorsque l’exécution a lieu entièrement ou partiellement après la fin du contrat, par écrit et pour six mois au plus, à moins qu’il s’agisse de prestations successives, de prestations d’assurance ou d’affaires dont l’exécution s’étend sur plus d’une demi-année (art. 339 al. 2 CO).
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