Ven, 19 septembre 2025
L'arrêt 4A_5/2025 rendu par le Tribunal fédéral (TF) le 26 juin 2025, dont le contenu sera abordé à la fin du présent article, nous donne l'occasion d'examiner les points les plus importants de la clause de prohibition de concurrence et la manière dont elle doit être formulée.
La clause de prohibition de concurrence, appelée couramment « clause de non-concurrence », est régie par les art. 340ss du Code des obligations (CO). Elle constitue un accord entre le travailleur et l'employeur interdisant au premier, après la fin du contrat de travail, de faire concurrence à son ancien employeur pendant une durée déterminée et dans une mesure définie. Dans la pratique, la question se pose souvent de savoir si une telle clause contractuelle est applicable. La réponse doit être appréciée en procédant à un examen en deux temps.
Dans un premier temps, il convient de veiller à ce que la clause de non-concurrence ait été valablement conclue. Cela suppose (1) que le travailleur ait l’exercice des droits civils, (2) qu'il se soit engagé par écrit (avec sa signature) et (3) que les rapports de travail lui permettent d’avoir connaissance de la clientèle ou de secrets de fabrication ou d'affaires et que l'utilisation de ces renseignements puisse causer un préjudice sensible à l'employeur. La dernière condition doit notamment être prouvée par l'employeur qui invoque la violation d'une clause de non-concurrence. S’il n’est pas prouvé que le travailleur avait accès à la clientèle ou aux secrets de fabrication ou d’affaires, la question de savoir s’il pouvait ou non causer un préjudice sensible à l'employeur par son activité concurrente est sans importance car la clause de non-concurrence ne sera pas valable.
Si ces conditions sont remplies, il convient, dans un deuxième temps, de vérifier si la clause de non-concurrence a été suffisamment limitée. En effet, afin d'éviter toute entrave injustifiée à l'avenir économique du travailleur, la clause de non-concurrence doit être limitée de manière appropriée conformément à l'art. 340a CO, c’est-à-dire :
En règle générale, la clause de non-concurrence interdit au travailleur d'exercer « directement ou indirectement » une activité dans un domaine particulier. On entend par activité « indirecte » notamment le fait de travailler dans une entreprise « concernée » par l’activité de l’employeur, que le travailleur occupe ou non un poste dans le domaine visé par la clause de non-concurrence. Ce qui est déterminant est le risque pour l’employeur de subir un préjudice sensible. Un tel risque existe également lorsque le travailleur transmet des informations à la personne responsable au sein de l'entreprise et que celle-ci utilise ces renseignements potentiellement préjudiciables (arrêt du TF 4C.298/2001 du 12 février 2002).
Ce n'est que lorsque la portée d'une clause de non-concurrence est définie en termes de durée, de zone géographique et de genre d’affaires qu'elle peut, en cas d'excès, être réduite à une mesure admissible par le juge selon son appréciation (art. 340a al. 2 CO). Ce dernier doit alors tenir compte de toutes les circonstances du cas d'espèce et éviter de compromettre l’avenir économique du travailleur contrairement à l’équité.
Lorsque la clause de non-concurrence est fondée sur la connaissance de la clientèle, il convient d’examiner si la prestation du travailleur se caractérise surtout par ses capacités personnelles, de telle sorte que le client attache plus d’importance aux capacités personnelles du travailleur qu’à l’identité de l’employeur. Selon la jurisprudence, une clause de non-concurrence ne se justifie pas « lorsque la relation du travailleur avec les clients repose principalement sur ses compétences et qualités personnelles ». Dans ce cas, le client attache de l’importance à la personne du travailleur dont il apprécie les capacités personnelles et pour lequel il éprouve de la confiance et de la sympathie. Le préjudice causé à l'employeur ne résulte donc pas du fait que celui-ci utilise sa connaissance de la clientèle, mais du fait qu'il utilise ses compétences personnelles. La clause de non-concurrence est alors inapplicable, le travailleur étant toujours autorisé à exploiter ses qualités et compétences personnelles, quel que soit l'endroit où il les a acquises, et ce même au détriment de son ancien employeur (voir notamment l'arrêt du TF 4C.100/2006 du 13 juillet 2007, consid. 2).
Dans ce contexte, il convient de mentionner les professions libérales telles que les médecins, les avocats, les architectes ou les ingénieurs. Dans ces professions, les compétences et les qualités personnelles sont généralement au premier plan et la doctrine et la jurisprudence partent plutôt du principe que l'interdiction de concurrence est inadmissible, entraînant un renversement du fardeau de la preuve de la validité de la clause au détriment de l'employeur. Le Tribunal fédéral souligne toutefois qu'il n'existe aucune profession dans laquelle une clause de non-concurrence serait absolument et systématiquement interdite. Par conséquent, chaque cas doit être évalué individuellement.
Contrairement au contrat d'agence ou à la clause de non-concurrence du droit allemand, le droit suisse n'impose pas le versement d'une contre-prestation de la part de l’employeur (« indemnité de carence ») lors de la conclusion d'une clause de non-concurrence. L’objectif d’une telle indemnité est de compenser la diminution des opportunités sur le marché du travail. Si la clause de non-concurrence est assortie d'une indemnité de carence, il existe un contrat bilatéral dans lequel le paiement de l'indemnité par l'employeur constitue la contrepartie de l'abstention du travailleur d'exercer une activité concurrente. Les parties sont libres de déterminer les modalités de calcul et de versement de cette indemnité, qui peut par exemple être versée mensuellement pendant la durée de l'interdiction ou sous forme de paiement unique. Elle est souvent basée sur le dernier salaire versé.
Selon la doctrine majoritaire, si une clause de non-concurrence convenue n'est jamais entrée en vigueur, l'indemnité convenue pour compenser la clause de non-concurrence est également nulle.
Même si la prohibition de faire concurrence a été valablement convenue, elle peut cesser de produire des effets pour les raisons suivantes :
· la durée convenue a expiré,
· les parties ont convenu de la supprimer,
· l’employeur y renonce,
· l’un des motifs légaux énoncés à l'art. 340c CO est applicable.
Aux termes de l’art. 340c CO, l'interdiction de concurrence cesse s'il peut être prouvé que l'employeur n'a plus d'intérêt réel à ce qu’elle soit maintenue. La disparition définitive de l'intérêt de l'employeur à une interdiction de concurrence intervient par exemple en cas d'abandon de la branche de production concernée, de fermeture de l'entreprise ou de transfert de l'activité vers un autre site où une nouvelle clientèle devra être constituée.
La prohibition de faire concurrence cesse également si l'employeur résilie le contrat de travail sans que le travailleur lui ait donné un motif justifié ou lorsque le travailleur résilie le contrat pour un motif justifié imputable à l'employeur.
Le motif justifié ne doit pas être confondu avec les justes motifs du licenciement immédiat. Il s'agit de «tout événement imputable à l’autre partie qui, selon des considérations commerciales rationnelles, peut donner une raison importante pour qu'il soit mis fin aux relations de travail » (arrêt du TF 4C.13/2007 du 26 avril 2007). Une violation contractuelle n’est pas nécessaire et la faute de l'autre partie n'est pas non plus requise. En cas de licenciement par l'employeur, il suffirait par exemple que le salarié ait commis des manquements à son devoir de fidélité qui, en termes de gravité, dépassent une violation légère du contrat. Parallèlement, selon la jurisprudence en vigueur, il suffit, pour une résiliation par le travailleur, que celle-ci soit la conséquence d'une surcharge de travail chronique nonobstant une mise en demeure ou d'un mauvais climat de travail au sein de l'entreprise. Si les deux parties sont responsables dans une mesure égale de la résiliation du contrat, la clause de non-concurrence reste valable (arrêt du TF 4A_199/2008 du 2 juillet 2008). Même en cas de résiliation d'un commun accord (accord de résiliation), la clause de non-concurrence reste en principe en vigueur, sauf si sa suppression est convenue.
Il est courant de prévoir une peine conventionnelle lors de la conclusion d'une clause de non-concurrence. Celle-ci est également soumise à l'exigence de la forme écrite. En cas de violation de la clause de non-concurrence, cette pénalité a pour effet de dispenser l'employeur de fournir la preuve de l’existence d’un préjudice, souvent difficile à apporter, de son montant et du lien de causalité entre la violation de la clause et le dommage. Le travailleur reste tenu de réparer le préjudice dépassant le montant de la peine conventionnelle, dans la mesure où l'employeur peut prouver les éléments susmentionnés.
Le juge doit toutefois réduire la peine conventionnelle selon son appréciation s’il l’estime excessive (art. 163 al. 3 CO). L'appréciation du caractère disproportionné de la peine conventionnelle doit être effectuée en tenant compte de toutes les circonstances, notamment d'une éventuelle contrepartie de l'employeur (indemnité de carence). En général, les tribunaux limitent les clauses pénales à une somme comprise entre trois et six mois de salaire (voir notamment l'arrêt du TF 4C. 249/2001 du 16 janvier 2002, consid. 5, où la peine conventionnelle de 100’000 francs a été réduite à 10’000 francs).
Outre la peine conventionnelle, l'accord visant à faire respecter la clause de non-concurrence contient généralement une clause d’« exécution en nature » (art. 340b al. 3 CO). Celle-ci interdit au travailleur de poursuivre l'activité concurrente, en plus du paiement de la peine, et permet ainsi de faire disparaître la violation du contrat. Pour pouvoir faire valoir l'exécution en nature, cette possibilité doit avoir été explicitement convenue par écrit dans la clause de non-concurrence. Une telle clause pourrait se présenter comme suit : « L'employeur peut exiger, en plus du paiement de la peine conventionnelle, la suppression de la situation contraire au contrat (exécution en nature) ainsi que la réparation du préjudice supplémentaire. »
Dans cet arrêt les faits sont suivants : dans son contrat de travail, l’employé s'était engagé « à ne pas accepter, pendant une période de deux ans, une activité directe ou indirecte pour une entreprise concurrente de son employeur ». Il s'engageait en outre, pendant la période précitée, à ne pas créer sa propre entreprise du même type ni à prendre de participation dans une telle entreprise et à ne pas exercer d'activité pour le compte d'entreprises tierces dans le domaine d'activité de l'employeur. Au deuxième paragraphe de la même clause contractuelle, il était convenu que le salarié percevrait « pendant la durée de la clause de non-concurrence » une « indemnité de carence de 50 % du dernier salaire versé, sans bonus ». Le travailleur a résilié son contrat de travail. De son côté, l'employeur a renoncé à la clause de non-concurrence, probablement afin d'éviter le paiement de l'indemnité de carence. Les parties étaient en désaccord sur la question de la validité de la clause de non-concurrence (1.), sur l'obligation de verser l'indemnité de carence (2.) et, cas échéant, sur son montant (3.).
1. Validité de la clause de non-concurrence (existence d'une limitation géographique)
Le TF a rappelé qu’une clause de non-concurrence dont la portée temporelle, géographique et matérielle n'est ni déterminée de manière précise ni susceptible d'être déterminée par une interprétation selon le principe de confiance n'a, tout comme une interdiction illimitée dans son ensemble, aucun effet dès le départ. Si le contenu du contrat peut être déterminé selon les méthodes d'interprétation générales, il convient, dans le cas des contrats soumis à des exigences de forme, d'apprécier si le contenu a été suffisamment exprimé sous la forme prescrite par la loi.
Alors que la première instance avait encore estimé que la clause de non-concurrence n'était pas suffisamment précise sur le plan géographique et qu'elle était donc sans effet, le Tribunal fédéral a confirmé les conclusions de l'instance cantonale, qui avait interprété l'étendue géographique de la clause comme couvrant le territoire suisse sur la base de son libellé et des circonstances de l'affaire. La clause de non-concurrence était donc valable et la question se posait de savoir si l'indemnité de non-concurrence était due.
2. Renonciation unilatérale à la clause de non-concurrence avec indemnité compensatoire
Dans ce contexte, le tribunal s'est penché sur la question de savoir si une résiliation unilatérale de la clause de non-concurrence avec indemnité compensatoire était admissible. Le Tribunal fédéral s'est appuyé pour cela sur une décision antérieure selon laquelle la clause de non-concurrence rémunérée (avec indemnité compensatoire) constituait dans ce cas un contrat bilatéral dans lequel l'indemnité compensatoire apparaissait comme une contrepartie. Malgré certaines critiques de la doctrine, le Tribunal fédéral maintient son point de vue selon lequel l'employeur ne peut résilier une clause de non-concurrence rémunérée sans l’accord de l’autre partie, ni avec effet immédiat ni en respectant un délai de préavis. Même en renonçant unilatéralement à l'interdiction avec contrepartie, l'employeur ne peut se libérer de l'obligation de verser la rémunération convenue (indemnité de carence). Cela se justifie par la nature même de l'interdiction de concurrence rémunérée qui, du fait de la contrepartie de l’employeur, devient un contrat bilatéral.
3. Montant de l'indemnité de carence
Enfin, le Tribunal fédéral a dû déterminer si les revenus de remplacement, et en particulier les prestations de l'assurance-chômage, devaient être pris en compte dans le calcul de l'indemnité de carence, bien que cela n'ait pas été explicitement convenu. Il constate à cet égard que l'indemnité de carence ne constitue pas un dédommagement mais qu'elle compense la restriction du choix de l’activité future du travailleur. Elle est donc due indépendamment du fait que l'ancien employé gagne quelque chose pendant la durée de la clause de non-concurrence, qu'il cherche un emploi, que la clause de non-concurrence l'empêche effectivement d'exercer son activité ou qu'il change de profession. En conséquence, il n'est pas tenu de déduire de l'indemnité de non-concurrence le gain qu’il auquel il renonce intentionnellement. Les allocations de chômage ne doivent pas non plus être déduites.
La clause de non-concurrence s'avère délicate dans la pratique, car de nombreux aspects doivent être pris en compte. Même si elle est valable et ne cesse pas de produire ces effets en raison de la survenance de l’une des situations mentionnées plus haut, elle peut néanmoins être restreinte ou réduite par un juge. Il semble dès lors judicieux de faire appel à des spécialistes en droit du travail pour rédiger ce type de clause de non-concurrence pour notamment s'assurer qu’elle soit valable.
Par ailleurs, lors de l'embauche d'une personne soumise à une clause de non-concurrence, il est recommandé de prendre contact suffisamment tôt avec l'ancien employeur afin de parvenir à un accord à l'amiable, de manière que le collaborateur puisse travailler dans votre entreprise sans risque de sanctions. En cas de violation de la clause de non-concurrence, il existe en effet toujours un risque que l'ancien employeur intente une action en justice contre le salarié, avec la possibilité que celui-ci soit contraint de cesser immédiatement sa nouvelle activité.
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